Thierry Joffredo reviewed L'utopie déchue by Félix Tréguer
500 ans d'histoire du contrôle de l'espace public
Le titre de la quatrième partie (Reféodalisation) donne le ton général de l’ouvrage, et témoigne de la volonté d’un retour aux premières formes de contrôle et de surveillance de l’espace public par les bureaucraties d’État comme privées. Cette partie s’ouvre sur la mise hors-la-loi des communautés de hackers en France (j’ai découvert à cette occasion les faits d’armes de Laurent Chemla !), en Allemagne (le Chaos Computer Club) ou aux États-Unis (le WELL), assimilés à des bandits, espions ou terroristes, qui traduit un renforcement du contrôle policier et conduit en réaction à la création de structures pour la défense des droits et la protection de la vie privée (comme l’Electronic Frontier Foundation aux USA) et à une bataille autour de la démocratisation de la cryptographie (émergence du mouvement cypherpunk). Les apories juridiques causées par l’arrivée de ce nouvel espace public numérique qu’est Internet et de sa « désintermédiation » mettent …
Le titre de la quatrième partie (Reféodalisation) donne le ton général de l’ouvrage, et témoigne de la volonté d’un retour aux premières formes de contrôle et de surveillance de l’espace public par les bureaucraties d’État comme privées. Cette partie s’ouvre sur la mise hors-la-loi des communautés de hackers en France (j’ai découvert à cette occasion les faits d’armes de Laurent Chemla !), en Allemagne (le Chaos Computer Club) ou aux États-Unis (le WELL), assimilés à des bandits, espions ou terroristes, qui traduit un renforcement du contrôle policier et conduit en réaction à la création de structures pour la défense des droits et la protection de la vie privée (comme l’Electronic Frontier Foundation aux USA) et à une bataille autour de la démocratisation de la cryptographie (émergence du mouvement cypherpunk). Les apories juridiques causées par l’arrivée de ce nouvel espace public numérique qu’est Internet et de sa « désintermédiation » mettent en lumière l’inadéquation du modèle porté par la loi de 1881 sur la liberté de la presse en France face à la multiplication des expressions contestataires, qui consacrait le rôle du responsable de publication et des intermédiaires éditoriaux vis-à-vis de l’expression de l’opinion publique. Le débat sur le rôle des intermédiaires techniques actuels – hébergeurs, fournisseurs d’accès, etc. – est d’ailleurs encore aujourd’hui d’une brûlante actualité. Entre volontés d’autorégulation et renforcement de l’arsenal législatif et policier, les mouvements de balancier sont de plus en plus forts. Mais dans les années 1990 les projets de surveillance massive par les états et la répression accrue contre les acteurs de la contestation ou de la transparence, exacerbée par les nouvelles lois faisant suite aux attentats de 2001, placent l’espace public au milieu d’un « état d’urgence numérique » qui donne son nom au treizième chapitre dans lequel les libertés sont malmenées au nom de la « sécurité nationale ». L’alliance objective des états avec les « Big Tech » (malgré la contre-culture qui a présidé à leur naissance) pour le bénéfice de leur économie mène au capitalisme de surveillance dont Google est le fer de lance, et les mécanismes de censure « automatique » des contenus indésirables se développent sur les grandes plateformes.